Accès à l’assurance prêt immobilier pour les personnes en ALD : cadre juridique et droits des assurés

La souscription d’une assurance emprunteur constitue une étape incontournable lors de l’obtention d’un prêt immobilier. Pour les personnes atteintes d’une Affection de Longue Durée (ALD), cette démarche s’avère souvent complexe en raison des surprimes appliquées ou des exclusions de garanties. Face à cette situation, le législateur a progressivement mis en place un arsenal juridique visant à protéger ces emprunteurs et à faciliter leur accès à l’assurance. Cette protection s’est renforcée au fil des années avec l’adoption de dispositifs comme la convention AERAS, le droit à l’oubli ou la résiliation infra-annuelle. Ce cadre normatif, en constante évolution, cherche à établir un équilibre entre les intérêts des assureurs et le droit fondamental des personnes en ALD d’accéder à la propriété immobilière.

Le cadre juridique général de l’assurance emprunteur pour les personnes en ALD

L’assurance emprunteur représente une garantie exigée par les établissements bancaires lors de l’octroi d’un prêt immobilier. Elle protège à la fois le prêteur et l’emprunteur contre les risques de décès, d’invalidité ou d’incapacité qui pourraient compromettre le remboursement du crédit. Pour les personnes souffrant d’une Affection de Longue Durée (ALD), l’accès à cette assurance représente un parcours semé d’obstacles.

Le Code des assurances et le Code de la santé publique encadrent les pratiques des assureurs vis-à-vis des personnes présentant un risque aggravé de santé. L’article L111-8 du Code des assurances pose le principe de non-discrimination fondée sur l’état de santé, mais autorise des différences de traitement justifiées par des données actuarielles pertinentes. Cette nuance permet aux assureurs d’appliquer des surprimes ou des exclusions de garantie aux personnes en ALD.

La loi Lagarde de 2010 a marqué une première avancée significative en instaurant le principe de déliaison, permettant aux emprunteurs de choisir librement leur assurance plutôt que d’accepter celle proposée par l’établissement prêteur. Ce dispositif a été renforcé par la loi Hamon en 2014, puis par la loi Bourquin en 2017, facilitant la substitution d’assurance pendant la première année du prêt ou à chaque date anniversaire.

La loi Lemoine du 28 février 2022 constitue une avancée majeure pour les personnes en ALD. Elle instaure un droit à la résiliation infra-annuelle de l’assurance emprunteur, applicable à tout moment après la signature du contrat. Cette mesure permet aux personnes dont l’état de santé s’est amélioré de rechercher une assurance plus avantageuse sans attendre l’échéance annuelle.

Le statut juridique des ALD

Les Affections de Longue Durée sont définies par l’article L324-1 du Code de la sécurité sociale. Elles concernent des maladies nécessitant un traitement prolongé et coûteux, comme les cancers, le diabète, les maladies cardiovasculaires ou les affections neurologiques. La reconnaissance d’une ALD ouvre droit à une prise en charge à 100% des soins liés à cette pathologie, mais entraîne parallèlement un signalement dans le système d’information des assurances.

La convention AERAS : un dispositif central pour les personnes en ALD

La convention AERAS (s’Assurer et Emprunter avec un Risque Aggravé de Santé) représente le pilier du dispositif juridique protégeant les personnes en ALD dans leur démarche d’emprunt immobilier. Signée en 2006 et régulièrement révisée, cette convention associe les pouvoirs publics, les fédérations professionnelles de la banque et de l’assurance, et les associations de patients et de consommateurs.

Le fonctionnement de la convention repose sur un système d’examen des demandes à trois niveaux. Au premier niveau, l’assureur évalue la demande selon sa procédure standard. En cas de refus, le dossier est automatiquement transmis au deuxième niveau pour un examen plus approfondi. Si le refus persiste, un troisième niveau d’expertise intervient pour les prêts immobiliers répondant à certains critères (montant plafonné, âge de l’emprunteur limité).

Pour les personnes en ALD, la convention prévoit plusieurs mécanismes favorables :

  • Un formulaire médical harmonisé limitant les questions sur les antécédents médicaux
  • Une grille de référence recensant les pathologies pour lesquelles l’accès à l’assurance est facilité
  • Un mécanisme d’écrêtement des surprimes pour les emprunteurs aux revenus modestes
  • Un dispositif de médiation en cas de litige

La dernière révision majeure de la convention, intervenue en 2019, a permis d’élargir son champ d’application. Le plafond des prêts éligibles au troisième niveau d’examen a été relevé à 320 000 euros, et l’âge limite porté à 71 ans en fin de prêt. Par ailleurs, le dispositif d’écrêtement a été renforcé, avec une prise en charge partielle des surprimes lorsque celles-ci dépassent 1,5 point du taux effectif global du prêt pour les emprunteurs dont les revenus sont inférieurs à un certain seuil.

La Commission de suivi et de propositions de la convention AERAS, composée de représentants des différentes parties prenantes, veille à l’application effective des dispositions conventionnelles. Elle publie un rapport annuel qui permet d’évaluer l’efficacité du dispositif et d’identifier les axes d’amélioration. Selon les derniers rapports, plus de 95% des demandes d’assurance présentant un risque aggravé de santé reçoivent une proposition, mais les conditions tarifaires demeurent souvent très onéreuses pour les personnes en ALD.

Le droit à l’oubli et la grille de référence : avancées majeures pour les personnes en ALD

Le droit à l’oubli constitue une innovation juridique déterminante pour les personnes ayant souffert de certaines ALD. Ce dispositif, intégré à la convention AERAS en 2015 puis consacré législativement par la loi du 26 janvier 2016, permet aux personnes guéries de certaines pathologies de ne plus avoir à les déclarer lors d’une demande d’assurance emprunteur, après un délai défini.

Initialement limité aux pathologies cancéreuses, le droit à l’oubli s’appliquait après un délai de 10 ans suivant la fin du protocole thérapeutique. La loi du 28 février 2022 a considérablement renforcé ce dispositif en réduisant ce délai à 5 ans pour l’ensemble des cancers. Pour les cancers pédiatriques survenus avant l’âge de 21 ans, ce délai est même ramené à 5 ans.

En complément du droit à l’oubli, une grille de référence a été établie dans le cadre de la convention AERAS. Cette grille identifie des pathologies, notamment des ALD, pour lesquelles les assureurs s’engagent à proposer une assurance sans surprime ni exclusion, ou avec des conditions se rapprochant des conditions standard, après certains délais depuis la fin du traitement ou la stabilisation de la maladie.

La grille de référence couvre désormais de nombreuses pathologies chroniques comme :

  • Le diabète de type 1 ou 2
  • L’hépatite virale C
  • Certaines formes d’hypertension artérielle
  • L’infection par le VIH sous traitement efficace

Pour chaque pathologie, la grille précise les conditions d’accès à l’assurance en fonction de critères médicaux spécifiques. Par exemple, pour un diabète de type 2 équilibré sans complication, la grille peut prévoir un accès à l’assurance décès sans surprime après un certain délai de stabilité.

La Commission des études et recherches de la convention AERAS joue un rôle fondamental dans l’évolution de cette grille. Composée d’experts médicaux, d’actuaires et de représentants des associations de patients, elle analyse les données scientifiques disponibles pour identifier les pathologies susceptibles d’être intégrées à la grille ou pour lesquelles les conditions d’accès pourraient être assouplies.

L’actualisation régulière de la grille de référence représente un enjeu majeur pour les personnes en ALD. La dernière mise à jour significative, intervenue en juillet 2019, a permis d’intégrer de nouvelles pathologies et d’assouplir les conditions pour certaines maladies déjà couvertes. Cette dynamique d’amélioration continue reflète les progrès médicaux et l’évolution des connaissances sur l’impact à long terme des différentes affections chroniques.

Obligations d’information et recours pour les personnes en ALD

Le législateur a instauré des obligations d’information strictes à la charge des établissements bancaires et des assureurs pour garantir la transparence du processus d’assurance emprunteur, particulièrement crucial pour les personnes en ALD.

Dès la première simulation de prêt, l’établissement bancaire doit informer l’emprunteur de l’existence de la convention AERAS et lui remettre une documentation détaillée sur ce dispositif. L’article L313-22 du Code de la consommation impose également au prêteur de fournir une fiche standardisée d’information sur l’assurance emprunteur, précisant notamment la possibilité de souscrire une assurance auprès de l’assureur de son choix.

Les questionnaires de santé, étape souvent redoutée des personnes en ALD, font l’objet d’un encadrement juridique spécifique. La loi du 28 février 2022 a supprimé l’obligation de répondre à un questionnaire de santé pour les prêts immobiliers inférieurs à 200 000 euros par assuré, dont le terme intervient avant le 60ème anniversaire de l’emprunteur. Cette mesure profite particulièrement aux personnes atteintes d’ALD dont le traitement est stabilisé ou en rémission.

En cas de refus d’assurance ou de conditions d’assurance défavorables, plusieurs voies de recours s’offrent aux personnes en ALD :

  • La saisine du médiateur de la convention AERAS
  • Le recours au délégué à l’assurance de la banque
  • La sollicitation du médiateur de l’assurance
  • L’action devant les juridictions civiles en cas de discrimination non justifiée

La charge de la preuve constitue un point juridique déterminant dans ces litiges. Selon l’article 1353 du Code civil, il appartient à celui qui allègue un fait d’en apporter la preuve. Toutefois, en matière de discrimination, l’article 10 de la directive 2000/78/CE établit un mécanisme d’aménagement de la charge de la preuve : lorsque le demandeur présente des faits permettant de présumer l’existence d’une discrimination, il incombe au défendeur de prouver qu’il n’y a pas eu violation du principe d’égalité de traitement.

Les sanctions encourues par les établissements ou assureurs qui ne respecteraient pas leurs obligations peuvent être significatives. L’article L113-8 du Code des assurances prévoit la nullité du contrat en cas de fausse déclaration intentionnelle de l’assuré, mais cette disposition doit être interprétée strictement lorsque l’assuré peut se prévaloir du droit à l’oubli ou de la grille de référence. Par ailleurs, les pratiques discriminatoires non justifiées peuvent être sanctionnées pénalement en vertu de l’article 225-1 du Code pénal.

La jurisprudence a progressivement clarifié les obligations des parties. Dans un arrêt du 4 février 2016, la Cour de cassation a rappelé que l’assureur doit justifier objectivement toute surprime ou exclusion de garantie par des données actuarielles et statistiques pertinentes. Cette exigence de motivation renforce considérablement la protection des personnes en ALD face aux pratiques potentiellement discriminatoires.

Perspectives d’évolution et recommandations pratiques

Le cadre juridique de l’assurance emprunteur pour les personnes en ALD connaît une évolution constante, portée tant par les avancées législatives que par les progrès médicaux. Plusieurs tendances se dessinent pour les années à venir.

L’extension du droit à l’oubli constitue une perspective majeure. Des propositions législatives visent à élargir ce dispositif à d’autres pathologies chroniques au-delà des cancers. Un projet de révision de la convention AERAS envisage d’intégrer certaines maladies auto-immunes ou inflammatoires chroniques stabilisées dans le champ du droit à l’oubli.

Le développement de la médecine prédictive et des tests génétiques soulève de nouvelles questions juridiques. L’article L1141-1 du Code de la santé publique interdit déjà aux assureurs de tenir compte des résultats d’examens génétiques, même si ceux-ci leur sont transmis volontairement par l’assuré. Cette protection pourrait être renforcée face aux avancées technologiques permettant d’évaluer avec une précision croissante les risques de développer certaines pathologies.

Pour les personnes en ALD souhaitant souscrire un prêt immobilier, plusieurs recommandations pratiques peuvent être formulées :

  • Anticiper la démarche d’assurance en consultant un courtier spécialisé dans les risques aggravés de santé
  • Constituer un dossier médical complet incluant des bilans récents attestant de la stabilité de la pathologie
  • Solliciter plusieurs devis comparatifs en faisant jouer la concurrence entre assureurs
  • Envisager des alternatives comme la délégation d’assurance ou les garanties alternatives (nantissement, hypothèque)

Les nouvelles technologies offrent également des perspectives prometteuses. Des plateformes numériques spécialisées dans l’assurance des personnes présentant un risque aggravé de santé se développent, facilitant la mise en relation avec des assureurs proposant des contrats adaptés. Ces innovations contribuent à réduire l’asymétrie d’information et à fluidifier le marché de l’assurance emprunteur.

L’approche transdisciplinaire entre médecine et droit apparaît comme une nécessité pour faire évoluer le cadre juridique. La collaboration entre experts médicaux, juristes, actuaires et représentants des patients permet d’adapter les dispositifs aux réalités cliniques et aux parcours de soins des personnes en ALD.

La formation des professionnels bancaires aux spécificités des ALD représente un autre axe d’amélioration. Une meilleure connaissance des pathologies et de leur évolution permettrait une évaluation plus juste du risque et limiterait les refus non justifiés.

Vers une assurance plus inclusive pour les personnes en ALD

L’évolution du cadre juridique de l’assurance emprunteur pour les personnes en ALD s’inscrit dans une dynamique plus large de promotion de l’inclusion financière. Cette tendance reflète une transformation profonde de la conception du risque dans notre société.

La mutualisation du risque, principe fondamental de l’assurance, fait l’objet d’un rééquilibrage constant entre solidarité et équité actuarielle. Le législateur a progressivement fixé des limites à la segmentation des risques pratiquée par les assureurs, considérant que l’accès au crédit immobilier constitue un facteur d’intégration sociale qui ne peut être entravé par des considérations purement techniques.

Cette approche s’inscrit dans le cadre plus large de la lutte contre les discriminations. La Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Égalité (HALDE), aujourd’hui intégrée au Défenseur des droits, a contribué par ses avis à façonner un cadre juridique protecteur. Sa délibération n°2010-266 du 13 décembre 2010 a posé des principes structurants concernant l’accès à l’assurance des personnes présentant un risque aggravé de santé.

La dimension européenne joue également un rôle croissant dans cette évolution. La Cour de Justice de l’Union Européenne a rendu plusieurs arrêts encadrant les pratiques de tarification fondées sur des critères liés à la santé. L’arrêt Test-Achats du 1er mars 2011, bien que portant sur la discrimination fondée sur le sexe, a posé un principe d’égalité de traitement susceptible d’être étendu à d’autres critères.

Au-delà des aspects strictement juridiques, l’évolution vers une assurance plus inclusive nécessite une transformation des pratiques professionnelles et des mentalités. Les associations de patients jouent un rôle fondamental dans ce processus en sensibilisant l’opinion publique et en participant aux négociations avec les pouvoirs publics et les acteurs économiques.

Le développement de produits d’assurance innovants, spécifiquement conçus pour répondre aux besoins des personnes en ALD, constitue une piste prometteuse. Certains assureurs proposent désormais des contrats modulaires permettant d’adapter les garanties à la situation médicale spécifique de chaque emprunteur, plutôt que d’appliquer des exclusions générales.

L’amélioration de l’accès à l’assurance passe également par une meilleure éducation financière des personnes concernées. La connaissance de leurs droits et des dispositifs existants leur permet de mieux négocier les conditions de leur assurance emprunteur et de contester les décisions qu’elles jugeraient injustifiées.

En définitive, le cadre juridique de l’assurance emprunteur pour les personnes en ALD illustre la recherche d’un équilibre délicat entre des impératifs parfois contradictoires : protection des personnes vulnérables, viabilité économique des contrats d’assurance, et promotion de l’accès à la propriété. Les avancées obtenues ces dernières années démontrent qu’une approche concertée, associant l’ensemble des parties prenantes, permet de faire progresser simultanément ces différents objectifs.