La légalité des mesures d’éloignement dans les zones de sécurité maritime contestées : enjeux juridiques et géopolitiques

Les tensions croissantes autour des délimitations maritimes internationales soulèvent des questions juridiques complexes concernant l’application des mesures d’éloignement par les États. Dans un contexte où plus de 30% des frontières maritimes mondiales demeurent contestées, l’exercice de la souveraineté dans ces zones grises du droit international maritime génère des conflits diplomatiques et juridiques majeurs. Le recours aux mesures d’éloignement – qu’il s’agisse d’interdictions temporaires de navigation, d’expulsions de navires étrangers ou d’établissement de zones d’exclusion – constitue une manifestation tangible de ces tensions. Cette pratique étatique s’inscrit au carrefour du droit de la mer, du droit international public et des considérations sécuritaires nationales, créant un équilibre précaire entre les revendications territoriales contradictoires et les libertés de navigation garanties par les conventions internationales.

Fondements juridiques des mesures d’éloignement en zones maritimes contestées

Les mesures d’éloignement appliquées dans les zones maritimes contestées reposent sur un cadre normatif international complexe. La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM) de 1982, ratifiée par 168 États, constitue la pierre angulaire de ce dispositif juridique. Elle établit différentes zones maritimes où les droits et obligations des États varient considérablement. Dans les eaux territoriales (12 milles marins), l’État côtier exerce sa pleine souveraineté, tempérée uniquement par le droit de passage inoffensif des navires étrangers. La zone contiguë (jusqu’à 24 milles) permet le contrôle nécessaire pour prévenir et réprimer certaines infractions. La zone économique exclusive (ZEE, jusqu’à 200 milles) confère des droits souverains limités aux ressources naturelles, mais préserve la liberté de navigation.

Les mesures d’éloignement trouvent leur justification juridique dans plusieurs dispositions de la CNUDM. L’article 25 autorise l’État côtier à prendre des mesures pour empêcher tout passage non inoffensif dans sa mer territoriale. L’article 73 permet l’adoption de mesures d’application des lois et règlements dans la ZEE, incluant l’arraisonnement et l’inspection des navires étrangers. Néanmoins, ces prérogatives deviennent problématiques dans les zones contestées où plusieurs États revendiquent ces droits.

La jurisprudence internationale a progressivement précisé les contours de ces pouvoirs. L’affaire du différend maritime Pérou c. Chili (CIJ, 2014) a rappelé que les États doivent faire preuve de retenue dans l’exercice de leur juridiction dans les zones contestées. De même, l’arbitrage entre les Philippines et la Chine en mer de Chine méridionale (2016) a condamné certaines mesures d’éloignement jugées disproportionnées au regard des droits revendiqués.

Le droit international reconnaît toutefois des exceptions permettant l’adoption de mesures d’éloignement même en zones contestées. Les considérations de sécurité nationale peuvent justifier des restrictions temporaires à la navigation, comme l’établissement de zones d’exclusion pendant des exercices militaires. La protection de l’environnement marin constitue un autre fondement légitime, notamment en cas de risque imminent de pollution. Ces exceptions s’accompagnent d’obligations procédurales strictes, comme la notification préalable aux autres États et la limitation temporelle des mesures.

  • Fondements conventionnels: CNUDM (articles 25, 73, 111)
  • Fondements coutumiers: pratique des États et opinio juris
  • Exceptions légitimes: sécurité nationale, protection environnementale
  • Limitations: principe de proportionnalité et obligation de notification

Les zones grises du droit applicable

La qualification juridique des espaces maritimes contestés constitue un défi majeur. Ces zones se caractérisent par une superposition de revendications territoriales contradictoires, créant un vide juridique propice aux tensions. Le principe de l’effectivité, selon lequel l’exercice effectif de la souveraineté prime sur les revendications théoriques, encourage paradoxalement les États à imposer des mesures d’éloignement comme manifestation tangible de leur contrôle territorial, alimentant ainsi un cercle vicieux de contestations.

Typologie et mise en œuvre des mesures d’éloignement

Les mesures d’éloignement en zones maritimes contestées revêtent des formes diverses, adaptées aux objectifs poursuivis par les États qui les imposent. Une première catégorie concerne les interdictions temporaires de navigation, fréquemment justifiées par des impératifs de sécurité. Ces restrictions, généralement notifiées par NOTMAR (Notices to Mariners), délimitent des périmètres où la circulation maritime est suspendue pendant une période déterminée. Le Japon a ainsi régulièrement établi des zones d’exclusion temporaire autour des îles Senkaku/Diaoyu, contestées par la Chine, notamment lors d’exercices militaires ou de patrouilles intensifiées.

Une deuxième catégorie englobe les mesures d’interception et d’expulsion de navires. Plus directes dans leur application, ces interventions impliquent l’usage de moyens navals pour contraindre physiquement les bâtiments étrangers à quitter la zone contestée. La marine vénézuélienne a employé cette méthode contre des navires d’exploration pétrolière guyanais dans la région d’Essequibo, territoire terrestre et maritime disputé entre les deux nations. Ces opérations comportent un risque d’escalade significatif, comme l’illustre l’incident de 2019 où un navire des garde-côtes vénézuéliens a contraint un navire de recherche affrété par ExxonMobil à quitter les eaux revendiquées.

Une troisième forme concerne l’établissement de zones de sécurité permanentes autour d’installations fixes. L’article 60 de la CNUDM autorise la création de ces périmètres jusqu’à 500 mètres autour des structures artificielles dans la ZEE. Toutefois, certains États étendent abusivement cette prérogative dans les zones contestées. La Chine a ainsi instauré des zones de sécurité étendues autour de ses îles artificielles en mer de Chine méridionale, dépassant largement les limitations prévues par le droit international.

La mise en œuvre de ces mesures mobilise des moyens opérationnels considérables. Les garde-côtes constituent généralement la première ligne d’intervention, comme l’illustre le renforcement spectaculaire des capacités des garde-côtes chinois, devenus la plus grande flotte de ce type au monde avec plus de 130 navires de patrouille hauturiers. Les marines nationales interviennent en soutien lors d’opérations de plus grande envergure ou face à des navires gouvernementaux étrangers. Des technologies avancées de surveillance maritime (radars côtiers, systèmes d’identification automatique, drones) complètent ce dispositif en permettant une détection précoce des intrusions.

  • Interdictions temporaires: NOTMAR, zones d’exclusion militaire
  • Interceptions physiques: arraisonnements, escortes forcées
  • Zones permanentes: périmètres de sécurité autour d’installations
  • Moyens de mise en œuvre: garde-côtes, marines, technologies de surveillance

Le recours aux forces paramilitaires

Une tendance récente consiste à privilégier l’emploi de forces paramilitaires plutôt que militaires pour l’application des mesures d’éloignement. Cette approche de « zone grise » vise à maintenir les tensions sous le seuil du conflit armé tout en affirmant une présence effective. Les flottes de pêche militarisées chinoises ou les milices maritimes vietnamiennes illustrent cette stratégie hybride qui complique l’attribution des responsabilités en cas d’incident.

Contestation juridique des mesures d’éloignement

La contestation des mesures d’éloignement en zones maritimes disputées s’articule autour de plusieurs mécanismes juridiques internationaux. Le recours aux tribunaux internationaux constitue la voie la plus formelle. La Cour internationale de Justice (CIJ) a développé une jurisprudence substantielle sur les différends maritimes, bien que ses décisions concernent davantage la délimitation des frontières que la légalité spécifique des mesures d’éloignement. L’affaire du Nicaragua contre Colombie (2012) a néanmoins abordé indirectement cette question en condamnant certaines pratiques colombiennes d’interception de navires nicaraguayens dans des zones nouvellement attribuées au Nicaragua.

Le Tribunal international du droit de la mer (TIDM), créé par la CNUDM, offre un forum spécialisé particulièrement adapté à ces contestations. Sa procédure de mesures conservatoires permet d’obtenir rapidement la suspension de mesures d’éloignement contestées pendant l’examen au fond du différend. L’affaire du navire « ARA Libertad » (Argentine c. Ghana, 2012) illustre l’efficacité de ce mécanisme, le Tribunal ayant ordonné la libération immédiate du navire-école argentin saisi par les autorités ghanéennes.

L’arbitrage international constitue une alternative fréquemment utilisée. La procédure arbitrale prévue à l’annexe VII de la CNUDM a été mobilisée dans plusieurs différends impliquant des mesures d’éloignement. La sentence arbitrale dans l’affaire Philippines c. Chine (2016) a invalidé les revendications chinoises basées sur la « ligne des neuf traits » et, par extension, les mesures d’éloignement imposées dans ces zones. Toutefois, le refus de la Chine de reconnaître cette décision souligne les limites de l’arbitrage face aux puissances réticentes.

Les mécanismes diplomatiques complètent ces voies juridictionnelles. Les protestations diplomatiques formelles constituent souvent la première réponse à des mesures d’éloignement jugées illégitimes. Ces notes verbales établissent une position juridique officielle et préservent les droits pour d’éventuelles procédures ultérieures. La médiation internationale, parfois facilitée par des organisations régionales comme l’ASEAN dans les différends en mer de Chine méridionale, peut contribuer à désamorcer les tensions liées à ces mesures.

L’efficacité de ces contestations se heurte à plusieurs obstacles. Le premier réside dans la fragmentation du droit international maritime, caractérisé par une multiplicité de régimes juridiques parfois contradictoires. Le second tient aux réserves formulées par de nombreux États lors de leur adhésion à la CNUDM, limitant la compétence des instances juridictionnelles. Enfin, l’exécution des décisions reste problématique en l’absence de mécanismes coercitifs efficaces, comme l’illustre la non-application persistante de certaines sentences arbitrales.

  • Voies juridictionnelles: CIJ, TIDM, tribunaux arbitraux
  • Procédures spécifiques: mesures conservatoires, procédures d’urgence
  • Voies diplomatiques: protestations formelles, médiation internationale
  • Obstacles: réserves à la CNUDM, exécution des décisions

Études de cas emblématiques

Plusieurs contentieux récents illustrent les dynamiques de contestation juridique. L’affaire Ukraine c. Russie concernant le détroit de Kertch (2018) a mis en lumière les enjeux du droit de passage dans les détroits contestés. Le différend entre la Grèce et la Turquie en mer Égée démontre la persistance de ces conflits, avec des mesures d’éloignement régulièrement imposées par les deux parties dans des zones disputées depuis plus de quatre décennies.

Impact des mesures d’éloignement sur le commerce maritime international

Les mesures d’éloignement imposées dans les zones maritimes contestées génèrent des répercussions économiques considérables sur le commerce maritime mondial. Près de 90% des échanges internationaux transitent par voie maritime, et certaines zones litigieuses coïncident avec des routes commerciales stratégiques. Le détroit de Malacca, partiellement contesté entre la Malaisie et Singapour, voit passer annuellement plus de 84 000 navires transportant environ 25% du commerce mondial. Les mesures restrictives, même temporaires, dans de tels goulets d’étranglement perturbent l’ensemble de la chaîne logistique mondiale.

Ces perturbations se manifestent d’abord par des coûts opérationnels accrus pour les compagnies maritimes. Le déroutement des navires pour éviter les zones soumises à des mesures d’éloignement entraîne une consommation supplémentaire de carburant et allonge les délais de livraison. Une étude du Boston Consulting Group estime que le contournement de la mer de Chine méridionale par les navires commerciaux, en cas de blocage complet, générerait un surcoût annuel de 64 milliards de dollars pour l’industrie maritime. Les primes d’assurance augmentent sensiblement pour les navires transitant par des zones maritimes contestées où des mesures d’éloignement sont fréquemment imposées. Les assureurs maritimes comme Lloyd’s ont créé des classifications spécifiques pour ces zones à risque, avec des surprimes pouvant atteindre 300% du tarif standard.

L’incertitude juridique résultant de ces mesures affecte les investissements dans l’exploitation des ressources offshore. Les compagnies pétrolières et gazières hésitent à engager les capitaux considérables nécessaires à l’exploration et à l’exploitation dans des zones où leur sécurité juridique n’est pas garantie. Le différend entre la Guyane et le Venezuela a ainsi retardé de plusieurs années le développement du potentiel pétrolier offshore guyanais, malgré des découvertes prometteuses par ExxonMobil. Les mesures d’éloignement visant les navires d’exploration et les plateformes de forage constituent un risque majeur pour ces investissements à long terme.

Face à ces défis, les acteurs privés du commerce maritime ont développé des stratégies d’adaptation. Les compagnies de transport intègrent désormais systématiquement le risque géopolitique dans leur planification stratégique, avec des scénarios alternatifs en cas d’intensification des mesures d’éloignement. Des mécanismes assurantiels innovants, comme les polices paramétriques déclenchant une indemnisation automatique en cas d’interdiction d’accès à certaines zones, se développent pour répondre à cette incertitude. Les technologies de navigation évoluent également, avec des systèmes de routage dynamique permettant d’ajuster les trajectoires en temps réel selon l’évolution des restrictions.

  • Impacts économiques directs: surcoûts opérationnels, surprimes d’assurance
  • Impacts économiques indirects: report d’investissements, incertitude juridique
  • Secteurs les plus touchés: transport d’hydrocarbures, extraction offshore
  • Adaptations: diversification des routes, innovations assurantielles

Le cas particulier des ressources halieutiques

Les zones de pêche situées dans des espaces maritimes contestés constituent un enjeu économique majeur souvent négligé. Les mesures d’éloignement visant les navires de pêche étrangers sont parmi les plus fréquentes et les plus strictes. Le conflit entre la Chine et le Vietnam autour des îles Paracel illustre cette problématique, avec des interdictions saisonnières de pêche imposées unilatéralement par Pékin et contestées par Hanoï, affectant les moyens de subsistance de milliers de pêcheurs vietnamiens.

Vers un encadrement juridique renforcé des mesures d’éloignement

L’évolution du cadre normatif régissant les mesures d’éloignement en zones maritimes contestées témoigne d’une recherche d’équilibre entre les prérogatives souveraines des États et la nécessaire préservation de la liberté de navigation. Plusieurs initiatives multilatérales visent à établir des standards minimaux pour l’adoption et l’application de telles mesures. L’Organisation Maritime Internationale (OMI) a élaboré en 2019 des directives non contraignantes sur les bonnes pratiques en matière de restrictions à la navigation, insistant sur les principes de nécessité, proportionnalité et notification préalable. Bien que ces recommandations n’abordent pas directement la question des zones contestées, elles constituent un référentiel utile pour évaluer la légitimité des mesures d’éloignement.

Les accords régionaux apportent des réponses plus ciblées aux problématiques spécifiques de certaines zones maritimes disputées. Le Code de conduite en mer de Chine méridionale, négocié entre la Chine et les pays de l’ASEAN depuis 2002 et dont la finalisation est prévue pour 2022, comprend des dispositions sur les restrictions de navigation dans les zones contestées. Bien que dépourvu de force contraignante, ce texte établit un cadre de référence commun et des mécanismes de consultation préalable. De même, la Déclaration conjointe sur la mer Égée signée par la Grèce et la Turquie en 2021 prévoit un système de notification mutuelle pour toute mesure d’éloignement temporaire liée à des exercices militaires.

La jurisprudence internationale contribue progressivement à clarifier les limites acceptables des mesures d’éloignement. L’ordonnance du TIDM dans l’affaire Ghana c. Côte d’Ivoire (2015) a posé le principe selon lequel, pendant la durée d’un différend territorial maritime, les États doivent s’abstenir d’imposer des mesures unilatérales susceptibles de modifier le statu quo, sauf motif impérieux de sécurité ou d’urgence environnementale. Cette approche prudentielle, qualifiée de doctrine de retenue mutuelle, gagne du terrain dans la pratique diplomatique.

Des mécanismes innovants de gestion conjointe provisoire émergent comme alternative aux mesures d’éloignement unilatérales. Ces arrangements, sans préjudice des revendications territoriales des parties, permettent une exploitation partagée des ressources et une coordination des contrôles maritimes. L’accord de pêche Japon-Taïwan autour des îles Senkaku/Diaoyu (2013) illustre cette approche pragmatique, autorisant les pêcheurs des deux pays à opérer dans certaines zones contestées selon des règles communes, évitant ainsi les mesures d’éloignement réciproques. De même, les Joint Development Areas (JDA) établies entre la Malaisie et la Thaïlande dans le golfe de Thaïlande démontrent la viabilité de ces solutions intermédiaires pour l’exploitation des hydrocarbures offshore.

  • Initiatives normatives: directives de l’OMI, codes de conduite régionaux
  • Principes émergents: notification préalable, proportionnalité, non-aggravation
  • Arrangements provisoires: zones de pêche communes, exploitation conjointe
  • Mécanismes de prévention: hotlines diplomatiques, protocoles d’incidents en mer

Le rôle des technologies dans la prévention des incidents

Les avancées technologiques offrent des perspectives prometteuses pour réduire les risques liés aux mesures d’éloignement. Les systèmes d’identification automatique (AIS) obligatoires pour les navires commerciaux permettent un suivi en temps réel des mouvements maritimes. Des plateformes de partage d’informations maritimes comme le Singapore’s Information Fusion Centre facilitent la coordination entre États riverains. Les technologies satellitaires de surveillance maritime contribuent à objectiver les situations de tension, limitant les allégations infondées d’intrusion territoriale souvent invoquées pour justifier des mesures d’éloignement.

Perspectives d’évolution dans un contexte géopolitique tendu

L’avenir des mesures d’éloignement en zones maritimes contestées s’inscrit dans un contexte géopolitique marqué par des tendances contradictoires. D’un côté, la multiplication des revendications maritimes accentue les risques de confrontation. L’extension des plateaux continentaux au-delà des 200 milles marins, conformément à l’article 76 de la CNUDM, crée de nouvelles zones de chevauchement potentiel. Plus de 80 États ont soumis des demandes à la Commission des limites du plateau continental, dont beaucoup se superposent. Les découvertes de ressources énergétiques et minérales offshore, comme les gisements gaziers en Méditerranée orientale ou les nodules polymétalliques dans le Pacifique Sud, intensifient les enjeux économiques liés au contrôle de ces espaces.

Parallèlement, on observe une militarisation croissante des espaces maritimes contestés. L’augmentation significative des budgets navals dans des régions comme l’Indo-Pacifique témoigne de cette tendance. La Chine a accru ses dépenses navales de 122% entre 2011 et 2021, tandis que l’Inde et le Japon ont augmenté les leurs de respectivement 45% et 18%. Cette course aux armements maritimes se traduit par des capacités accrues d’imposition et de contestation des mesures d’éloignement. Les incidents maritimes se multiplient, comme en témoignent les 18 confrontations documentées entre navires chinois et philippins en mer de Chine méridionale pour la seule année 2021.

Face à ces risques, des initiatives diplomatiques innovantes émergent pour prévenir l’escalade liée aux mesures d’éloignement. Les mécanismes de déconfliction, tels que les protocoles d’incidents en mer inspirés de l’accord INCSEA soviéto-américain de 1972, se développent entre puissances rivales. L’accord de 2014 entre la Chine et les États-Unis sur les règles de comportement lors de rencontres en mer illustre cette approche préventive. Les commissions mixtes permanentes, à l’image de celle établie entre la France et l’Espagne pour la gestion du golfe de Gascogne, institutionnalisent le dialogue sur les questions maritimes sensibles.

La judiciarisation croissante des différends maritimes constitue une autre tendance majeure. Le recours aux instances juridictionnelles internationales s’intensifie, avec plus de 20 affaires relatives à des délimitations maritimes pendantes devant la CIJ et le TIDM. Cette évolution favorise une clarification progressive des règles applicables aux mesures d’éloignement en zones contestées. La récente saisine du TIDM par les Maldives contre l’Île Maurice concernant la délimitation maritime autour de l’archipel des Chagos s’inscrit dans cette dynamique.

  • Facteurs d’aggravation: nouvelles revendications, découvertes de ressources
  • Risques d’escalade: militarisation maritime, incidents en mer
  • Approches préventives: protocoles d’incidents, commissions mixtes
  • Tendances juridiques: recours accru aux instances internationales

L’influence des changements climatiques

Les changements climatiques introduisent une dimension supplémentaire dans la problématique des zones maritimes contestées. La montée des eaux modifie les lignes de base à partir desquelles sont mesurées les différentes zones maritimes, créant de nouvelles incertitudes juridiques. Les États insulaires du Pacifique, particulièrement vulnérables à ce phénomène, développent des arguments juridiques novateurs pour maintenir leurs droits maritimes malgré la submersion partielle de leur territoire, complexifiant davantage la question des mesures d’éloignement dans ces régions.

Équilibre entre sécurité nationale et liberté de navigation: le défi juridique du XXIe siècle

La recherche d’un juste équilibre entre impératifs de sécurité nationale et préservation de la liberté de navigation constitue l’enjeu central de l’encadrement juridique des mesures d’éloignement. Cette tension fondamentale traverse l’ensemble du droit international maritime contemporain. Les préoccupations sécuritaires des États côtiers se sont considérablement renforcées depuis les attentats du 11 septembre 2001, légitimant à leurs yeux des restrictions accrues à la navigation dans leurs espaces maritimes, y compris contestés. L’Initiative de sécurité contre la prolifération (PSI), lancée en 2003 et rejointe par plus de 100 pays, illustre cette tendance avec son régime d’interception en haute mer des navires suspectés de transporter des armes de destruction massive.

Parallèlement, la liberté de navigation demeure un principe cardinal du droit international maritime, défendu avec vigueur par les principales puissances maritimes. Les opérations de liberté de navigation (FONOP) conduites régulièrement par les marines américaine, britannique et française dans des zones soumises à des revendications excessives témoignent de cet attachement. Ces opérations contestent explicitement la légalité des mesures d’éloignement imposées dans ces espaces. La 36e FONOP américaine en mer de Chine méridionale, réalisée en janvier 2022 près des récifs Mischief, a ainsi délibérément ignoré les restrictions de navigation imposées par Pékin.

La doctrine juridique s’efforce de conceptualiser cet équilibre délicat. Le principe de proportionnalité, emprunté au droit des conflits armés, gagne en pertinence dans l’évaluation des mesures d’éloignement. Selon cette approche, les restrictions à la navigation doivent être strictement proportionnées à la menace invoquée pour les justifier. De même, le concept de due diligence, développé notamment dans le contexte environnemental, impose aux États d’exercer leurs prérogatives avec une prudence raisonnable tenant compte des intérêts légitimes des autres États.

Les nouvelles menaces maritimes complexifient davantage cet équilibre. La piraterie, le terrorisme maritime, la pêche illégale ou les trafics transnationaux justifient objectivement certaines mesures restrictives, même dans des zones contestées. La coopération internationale face à ces menaces peut paradoxalement favoriser des approches concertées entre États riverains en conflit territorial. L’initiative conjointe Malaisie-Indonésie-Philippines contre la piraterie dans la mer de Sulu, lancée en 2016 malgré des différends territoriaux persistants, illustre cette dynamique positive.

  • Principes directeurs: proportionnalité, nécessité, non-discrimination
  • Mécanismes de contestation: FONOP, protestations diplomatiques
  • Nouvelles justifications: menaces asymétriques, protection environnementale
  • Approches concertées: patrouilles conjointes, partage d’informations

L’émergence d’un droit coutumier spécifique

La pratique répétée des États en matière de mesures d’éloignement dans les zones contestées contribue progressivement à l’émergence d’un droit coutumier spécifique. Ce corpus normatif non écrit se caractérise par quelques principes fondamentaux: l’obligation de notification préalable, le caractère temporaire et réversible des mesures, l’interdiction des restrictions discriminatoires ciblant spécifiquement certains pavillons, et l’exigence d’un motif légitime (sécurité, environnement, recherche scientifique) pour justifier la mesure. Cette cristallisation progressive de règles coutumières complète utilement le cadre conventionnel parfois lacunaire de la CNUDM.

En définitive, l’enjeu fondamental réside dans la construction d’un régime juridique équilibré capable de concilier les intérêts contradictoires en présence. Ce régime doit reconnaître la légitimité de certaines mesures d’éloignement tout en les encadrant strictement pour prévenir les abus. Il doit encourager les arrangements provisoires sans préjudice des revendications territoriales sous-jacentes. Enfin, il doit prévoir des mécanismes efficaces de règlement des différends pour désamorcer les tensions avant qu’elles ne dégénèrent en confrontations ouvertes.

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